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Uno storico nel paese del Minitel. Il Web e la storia in Francia

di Marin Dacos
in Memoria e Ricerca n.s. 7 (2001), p. 191


Résumé La frilosité de l’Université française à s’investir pleinement dans l’édition électronique s’explique sans doute par l’attachement au papier, au codex et à la matérialité de toute forme d’édition, mais également par une incomplète prise de conscience des enjeux liés à Internet. A côté de brillantes réalisations règne en effet une relative indifférence à l’égard des questions soulevées par l’édition électronique. Dans un paysage en profonds bouleversements, où les rares pionniers se sont parfois découragés et où l’utilisateur reste encore très passif, l’Etat fournit un effort magistral. Il développe en effet un travail majeur de mise en ligne de sources et de références bibliographiques. On aimerait voir étendu ce modèle de service public gratuit et efficace à l’édition d’oeuvres d’historiens contemporains. Le temps presse, si nous voulons avoir le choix entre la marginalisation de l’édition spécialisée sur papier et le modèle commercial que traîne dans son sillage la " nouvelle économie ". Introduction Un jeune étudiant français en histoire qui chercherait à lire les recherches de ses professeurs sur Internet serait bien déçu. Il trouvera à coup sûr de nombreux sites commerciaux rassemblant des anecdotes du passé. Il trouvera également les sites d’amateurs passionnés de généalogie ou de fanatiques de Napoléon. Mais il accèdera à bien peu d’articles de chercheurs et d’enseignants-chercheurs. Ce constat montre clairement que l’arrivée d’Internet a bien souvent été perçue par la communauté des historiens français avec indifférence, parfois avec une hostile froideur. Cela signifierait-il que la question de l’édition électronique est sans enjeu pour la recherche ? Il serait faux de le croire. La crise de l’édition scientifique pourrait en effet trouver là une solution réaliste . Cependant, il n’existe pas un modèle unique de publication électronique mais un large éventail de possibilités, parmi lesquelles la communauté scientifique doit faire un choix. Confrontrée à cette question, la France a fait preuve d’une réaction extrêmement contrastée, puisqu’elle s’est partagée entre deux tendances qui peuvent paraître contradictoires. Si les réticences ont semblé dominer dans un premier temps, le choix d’une offre publique et non commerciale a été fait, préférant ainsi les ambitions scientifiques au souci de rentabilité. Silences et reticences Dans un pays aussi conscient de son passé que la France, le premier argument évoqué pour expliquer la réticence face à l’édition électronique est en général une dénonciation d’un nouveau rapport à la lecture censé briser l’écosystème de la création universitaire fondé sur la sainte trilogie papier-encrier-livre. Nostalgies de papier Selon cette arguementation, les outils informatiques médiatiseraient tellement le rapport entre le chercheur et sa matière qu’ils dénatureraient l’acte de recherche, le ramenant à une froide quête dénuée de sens. Les oppositions à l’informatique ignorent trop souvent que le processus de création intelectuelle s’appuie quotidiennement des techniques telles que l’alphabet ou l’imprimerie, sans choquer personne. De plus, il est impossible de réduire l’édition électronique à un seul support de lecture comme voudraient le croire certains de ses détracteurs qui critiquent la lisibilité sur écran, considérée à raison comme très inconfortable pour le moment. C’est méconnaître là un des atouts principaux du numérique, qui présente la particularité d’être quasiment indépendant de son support, permettant ainsi le changement de support et l’impression sur papier . Derrière ces arguments de façade se cache sans doute, en réalité, un manque de familiarité avec ce qu’il est convenu d’appeler les nouvelles technologis (qui finiront bien un jour par ne plus être nouvelles) . Il faut dire ici clairement que l’arrivée de l’informatique depuis trente ans dans la société implique un investissement considérable en formation. Plus encore, ce sont sans doute des inquiétudes de nature psychologique qui constituent le principal frein à l’acceptation de l’édition électronique par la communauté universitaire. De façon évidente, il y a une peur de publier sur Internet qui s’explique d’abord par une certaine pudeur, mais aussi et surtout par la crainte d’être pillé. Pourtant, la vocation d’une recherche n’est-elle pas d’être communiquée au public ? Y a-t-il une différence fondamentale entre l’impression sur papier et la diffusion d’un article en ligne ? Dans les deux cas, un étudiant, un journaliste ou un chercheur mal intentionné n’aura aucun mal à s’inspirer ou à recopier in extenso le texte qui suscite sa convoitise. Pour ne pas être volé, il faudrait renoncer à la publication. Sans doute la question du plagiat se pose-t-elle aujourd’hui avec une acuité plus importante parce que le public potentiel passe subitement à des milliers de lecteurs, alors que jusqu’à présent les publications universitaires avaient tendance à être diffusées à l’intérieur de circuits relativement fermés. Faut-il pour autant cultiver le splendide isolement universitaire en refusant de divulguer ses idées, ses recherches, ses travaux ? On voit clairement à l’évocation de ces arguments que ce qui freine la diffusion de l’édition électronique n’est pas la technique en elle-même, mais son image . Le changement de cette image est ralenti en France par l’existence d’un ancêtre du Web. Comparaisons malvenues avec le Minitel La France présente en effet la particularité d’avoir développé il y a vingt ans un outil que l’on compare souvent à Internet : le Minitel. Ce terminal vidéotex permet d’avoir accès à des milliers de services en ligne et a connu un prodigieux succès, touchant un grand nombre de foyers français. Cet outil aujourd’hui dépassé est souvent avancé pour expliquer le retard français dans le développement d’Internet. Selon cette explication, l’avance de 15 années acquise par les Français rendrait l’intérêt d’Internet moins évident, dans la mesure où la plupart des services pratiques rendus par la Toile étaient déjà présents sur le Minitel (météo, horaires de trains, etc.). Cet argument flatte sans doute l’orgueil national mais ne rend pas compte de la complexité du rapport qu’entretiennent le Minitel et Internet. Au contraire, il dissimule sous une analogie trompeuse une grave confusion. En réalité, ces deux systèmes n’ont de commun que l’utilisation d’un terminal et du réseau téléphonique pour diffuser des informations. Le Minitel est un modèle de publication monodirectionnel (les diffuseurs ne sont pas les consommateurs, les consommateurs ne sont pas les diffuseurs) alors qu’Internet est vraiment bien plus qu’un média classique : c’est un système de communication pluridirectionnel dans lequel l’utilisateur est successivement consommateur puis diffuseur d’informations. Il existe en effet un ensemble varié de technologies permettant à l’internaute de s’exprimer et de diffuser largement le résultat de sa réflexion. C’est ainsi que la publication en ligne devient possible à toute personne motivée. Or, l’analogie répétée entre le Minitel et Internet laisse croire aux français qu’ils ne peuvent avoir sur la Toile qu’une attitude de consommation et non de prise de parole. Plus encore, à la lumière de la comparaison avec le Minitel, on risque de bien mal intérpréter le processus de démocratisation éditoriale ainsi enclenché. L’évocation de ces thèmes débouche en effet fréquemment sur des propos inquiets au sujet d’un réseau moderne sans loi et sans pouvoir régulateur. Le temps du Minitel centralisé sous la houlette de France Télécom est bien terminé, et par certains aspects le réseau qui l’a remplacé, bien plus libre, presque touffu, a de quoi dérouter. Ne disposant par principe pas de centre, il apparaît bien souvent comme un espace d’anarchie et de désordre. On comprend dès lors la réticence des universitaires à se jeter dans la cohue en publiant en ligne, la démarche n’étant ni valorisée ni séduisante. Une image négative : anarchie et désordre L’impression de confusion est accentuée par l’impossibilité de dresser une carte cohérente du Web, et la difficulté de trouver ce qu’on souhaite y lire. Les moteurs de recherche qui sont utilisés pour se frayer un chemin dans les centaines de millions de pages disponibles déroutent l’internaute peu expérimenté : échouant souvent à trouver ce qu’on leur demande, ils proposent de sucroit des réponses totalement inadéquates. En somme, ils semblent répondre par du bruit là où il faudrait du silence. La sanction de l’internaute est souvent sans appel, puisqu’il conclu de cette expérience que la Toile est vide de tout ce qui l’intéresse, et pleine de tout ce qui ne l’intéresse pas. Là encore, il faut nuancer de telles réactions par trois arguments complémentaires. Tout d’abord, malgré l’adage médiatique qui veut qu’on trouve tout dans la plus grande bibliothèque du monde, Internet ne peut contenir tout le savoir du monde et ressusciter la bibliothèque d’Alexandrie. On peut légitimement s’interroger sur ce fantasme d’exhaustivité, qui ne recouvre aucune réalité objective, surtout dans une communauté de chercheurs. Quoi qu’il en soit, la situation ne peut pas évoluer si la communauté des chercheurs continue à percevoir Internet selon un modèle centralisé. Pour que les " lacunes " scientifiques de la Toile se comblent, il ne suffit pas de les pointer du doigt et de les déplorer, encore faut-il prendre la question en main en développant une politique de publication électronique vigoureuse. Si une telle attitude faisait défaut, le contenu du Web serait totalement laissé aux amateurs, aux marchands et aux journalistes. Ce serait accepter un recul majeur dans le rôle joué par les intellectuels dans notre société. Ensuite, Internet n’est pas une bibliothèque et ne ressemble à rien qui ait existé auparavant. Il serait donc illusoire de croire qu’une utilisation intuitive des moteurs de recherche permette d’obtenir des résultats probants. Qui sait que la plupart des moteurs de recherche permettent des requêtes booléennes, que Google n’effectue pas de recherche partielle sur la racine d’un mot, qu’Altavista dispose d’une fonction near performante, qu’Alltheweb permet d’exclure ou d’inclure exclusivement des noms de domaine dans une requête avancée ? Enfin, troisième et dernier argument : Internet souffre d’une crise de croissance très forte. L’augmentation exponentielle du nombre de pages sur la Toile rend difficile sa maîtrise par les moteurs de recherche, qui s’épuisent radicalement à en absorber la sève. Personne n’est en mesure de donner une estimation vérifiable du nombre de pages disponibles sur la Toile (deux milliards ? quatre milliards ?), mais on considère aujourd’hui qu’aucun moteur de recherche ne connaît plus du tiers de la totalité des ressources disponibles en ligne dans le monde. Cette situation est d’autant plus ridicule que dans la majeure partie des cas, nous n’avons pas besoin de réponses venant de sites biélorusses concernant l’apnée en eaux froides... C’est ainsi qu’il faut admettre qu’il y a bien une dose de " bruit " qui peut sembler incompressible et qui n’est contournable que par deux méthodes. La première est une maîtrise experte des fonctions de recherche avancée de plusieurs moteurs de recherche. La deuxième est le développement de moteurs spécialisé (nous y reviendrons). On le perçoit cependant, la tendance générale est plutôt la dénonciation de l’immaturité d’un réseau qui s’emballe sans parvenir à s’ordonner. La difficulté de trouver précisément ce que l’on cherche se double d’une peur face à la liberté d’expression qui règne sur le réseau : induit-elle une anarchie empêchant la mise en place d’un véritable débat scientifique en son sein ? Comment s’assurer de la validité de l’information dans un univers qui semble réservé aux rumeurs, aux extrémistes et aux pédophiles ? Ces questions ont d’autant plus de poids que trop de chercheurs relaient sans discernement des canulars vieux comme le Web lui-même au sujet de virus absolument improbables, annoncés par des courriers électroniques à la rhétorique immuable, qui mériterait un nouvel Edgard Morin pour en mener intégralement l’étude... Au moment où Internet est en train de construire ses propres centres de gravité , à partir desquels graviteront les utilisateurs, une réaction timorée de la part de la communauté des historiens face à la question de l’édition électronique reviendrait à une démission. Or, pour éviter la disparition de tout repère scientifique sur le Web, il suffirait de faire migrer vers la Toile les outils institutionnels qui ont fait leurs preuves sur papier, au premier rang desquels se situent les comités de lecture. Cet objectif ne pourra être atteint si continuent à s’opposer les partisans du Vieux Monde avec ceux du Nouveau , les détenteurs du savoir fermement assis sur des procédures de publication rodées depuis des siècles avec les défenseurs de solutions électroniques perçues comme des émanations de la mode du high-tech. Il faudra alors passer à l’étape suivante, qui consiste à inventer de nouvelles modalités de publication qui tiennent compte des spécificités du numérique et des réseaux, à la fois à travers le prix de l’abonnement, le contenu des articles et la possibilité de mettre en place des débats. Mais ce temps n’est pas encore venu, tant la route à parcourir semble longue. Les "trous noirs" de l'Internet français La tiédeur française face à l’édition en ligne se mesure essentiellement en creux. En effet, malgré des initiatives de qualité, l’édition électronique n’occupe en France qu’un part infinitésimale de la production historique universitaire. Une faiblesse numérique Si la publication en ligne de sources historiques a pris un réel essor en raison du caractère particulier de ce type de document , la production des historiens est en revanche très peu et très mal diffusée. Certes, il existe des initiatives et des projets de publication dans ce sens mais leur nombre est encore extrêmement faible. Prenons comme référence les ressources offertes par la Bibliothèque nationale de France (BNF), dont le site propose des signets pour guider les internautes . Les sites référencés par la BNF au sujet de l’Histoire sont aux deux tiers anglophones – 8 sites francophones, 1 néerlandophone et 1 germanophone pour 16 anglophones . Les chiffres par domaines confirment que les historiens français laissent l’initiative électronique à des Universités américaines et à des amateurs (dont les sites inégaux ne sont pas souvent sélectionnés par la BNF). Le constat est similaire en ce qui concerne les grandes revues historiques, dont la présence sur Internet est très discrète. Ainsi, les sites des revues historiques de grande renommée, comme les Annales ou Vingtième siècle, ne sont pas référencés dans la catégorie " revues d’histoire " de Yahoo , l’annuaire le plus utilisé sur Internet. On ne trouve ici que huit revues, dont certaines ne méritent pas la qualification de scientifique . Or, Yahoo.fr n’inscrit dans son annuaire que des sites s’étant référencés, c’est-à-dire ayant annoncé leur existence. Cela signifie que les revues historiques ne procèdent pas toujours au référencement de leur site sur les principaux annuaires et moteurs de recherche. Cette impression est confirmée à l’échelle mondiale par Stefan Blaschke qui constate que son annuaire en ligne de revues historiques, history-journals , ne contient que 2% de références signalées par les revues elles-mêmes ... Or, le référencement sur les annuaires commerciaux et scientifiques est quasiment le seul moyen d’informer les internautes de son existence et représente une des activités principales de la création d’un site Web. Du point de vue du contenu, les revues historiques se contentent souvent de publier en ligne des informations générales : présentation d’ensemble, tables des matières et parfois tables analytiques. C’est le cas des Annales , de la Revue historique ainsi que de bien d’autres revues . Les sites des revues demeurent le plus souvent des vitrines, parfois sans table des matières, très souvent sans résumés d’articles. Si cette mise en ligne est précieuse pour trouver un auteur ou repérer un article par son titre sans perdre trop de temps en déplacements en bibliothèque, elle consiste plus en une indexation qu’en une véritable publication. La situation confine à la catastrophe dans le domaine des listes de discussions, qui représentent un véritable outil de débat et d’échange scientifique. La plus connue des listes de discussion concernant l’histoire de France est en effet une liste américaine, dont la langue de travail est l’anglais et dont les préoccupations sont très américaines. Il s’agit d’H-France , affiliée au très important programme d’hébergement de services destinés aux universitaires qu’est H-net . En France, les listes de discussion sérieuses concernant l’Histoire n’existent quasiment pas, à la notable exception d’H-français, une liste destinée aux professeurs du Secondaire . S’il est souhaitable que les chercheurs imitent les pédagogues, il est légitime de s’interroger sur les causes d’une telle désaffection. Il est possible que les universitaires français considèrent que les listes de discussion, même modérées par des gens compétents, n’apportent pas beaucoup d’éléments nouveaux au débat. C’est ce que peuvent laisser penser les chiffres concernant les abonnés de la liste H-France en décembre 1998. Les résultats sont éloquents : loin derrière les Etats-Unis d’Amérique (1140 abonnés ) et le Canada (130), les Français (78) occupent la quatrième place, faisant quasiment jeu égal avec les Anglais (87). Le poids des hiérarchies et des appartenances institutionnelles est-il plus fort en France qu’ailleurs, limitant ainsi la marge de manoeuvre des chercheurs et leur capacité d’initiative ? Quelles que soient les explications avancées, la timidité française en ce domaine se confirme par une grande discrétion dans la mise en évidence des besoins les plus criants et dans la mise en place de projets concrets découlant de ces bilans. Analyses et mises en oeuvre En publiant un article de réflexion sur l’édition électronique , puis en mettant en oeuvre sur le Web les principes découlant de cette réflexion , Robert Darnton a non seulement contribué à la prise de conscience de l’utilité d’une alliance entre l’édition classique et l’édition électronique, mais plus encore il a dépassé le stade de la théorie et a appliqué les principes qu’il défend. Selon le modèle qu’il propose, Internet serait d'une part chargé de publier la démonstration scientifique dans toute sa rigueur, augmentée d'un important volet de sources et serait d'autre part le lieu du débat scientifique au sujet de la publication. Le papier abriterait la synthèse, lisible dans un train ou au fond d'un lit, abritée par un codex qui a fait la preuve de son efficacité et de sa souplesse . Pour le livre, l’espoir est réel : déchargés de la tâche lourde et coûteuse de publier la littérature scientifique dans ses aspects les plus techniques, les éditeurs pourront recentrer leur activité sur l’édition de la partie la plus intelligible de la production universitaire. On peut dès lors s’étonner de lire en France que de telles thèses soient " provocantes " . Elles surprennent moins aux Etats-Unis, où la réflexion a déjà été l’objet d’applications concrètes. En histoire ancienne en particulier, le Perseus Projet rassemble une masse très importante de documents en ligne tandis qu’Argos propose aux antiquisants et médiévistes un moteur de recherche performant travaillant sur une zone restreinte et spécialisée du Web. Il compense ainsi les lacunes criantes des moteurs de recherche généralistes. En histoire médiévale, The Labyrinth propose un ensemble de signets de très grande qualité, remplaçant avantageusement les annuaires ou catalogues de liens commerciaux. Le service d’actualité scientifique H-announce permet quant à lui à la communauté scientifique de se tenir au courant de la tenue de colloques, du lancement d’appels à contribution, etc. En Italie, le Calendario della medievistica joue ce rôle efficacement pour l’histoire médiévale. En France, on trouve peu d’initiatives aussi efficaces et utiles (nous reviendrons plus loin sur les plus notables d’entre elles). Comment expliquer ce retard ? D’une façon générale, la difficulté réside dans le diagnostic des lacunes à compenser et la mobilisation d’équipes proposant une grande diversité de compétences pour faire éclore un projet réellement pertinent. La naissance d’Argos correspond précisément à l’alliance entre une prise de conscience précoce (lancement en 1996), l’investissement d’une équipe de chercheurs et l’implication d’informaticiens capables de développer un tel outil. La France ne dispose à l’heure actuelle que de deux projets similaires. Le premier est le moteur développé par l’UREC . Il a pour objectif de permettre une requête avancée sur les " sites relatifs à l’Enseignement et à la Recherche en France ". S’il élimine les sites fantaisistes concernant l’Atlantide (qui ne sont pas éliminés par Yahoo), il embrasse la totalité des disciplines, et s’aventure peu en dehors des sites institutionnels. Le deuxième est un moteur en cours d’achèvement qui proposera des requêtes en texte intégral sur des milliers de sites sélectionnés par des universitaires dans plusieurs domaines de spécialité concernant les sciences humaines . Sa sortie officielle est prévue avant la fin de l’année 2000. Malgré des réflexions et des projets en cours comme le Programme de numérisation pour l’enseignement et la recherche , la présence de la recherche historique française sur le Web souffre de défauts de jeunesse et apparaît à ce titre comme très inégale. Un tour d’horizon des sites des Universités françaises et surtout de leurs laboratoires d’histoire montre que dans la plupart des cas une plaquette de présentation est diffusée, sans informations actualisées, présentant parfois des listes de personnel, de colloques ou d’enseignements périmés depuis plusieurs années. Ici semble régner le spectre du Minitel, un outil modeste fournissant des informations superficielles et sommaires. Ainsi, nombreux sont les laboratoires présentés en une seule page. Autre maladie des sites universitaires français : l’erreur 404. Cette erreur, indiquant des changements dans les adresses de certaines pages des sites, montre que certains sites ne sont pas entretenus et qu’aucun responsable ne passe voir comment les choses se passent. C’est bien d’indifférence qu’il s’agit. Comment peut-il en être autrement, puisque bien rares sont les revues scientifique qui accordent autant de place à la naissance d’un site web qu’à la parution d’un ouvrage ? Une telle politique revient à ne pas admettre la Toile comme un espace de publication, et à la cantoner de fait dans un rôle secondaire. Heureusement, les cas de ce type, nombreux, ne peuvent faire oublier de belles réussites, parfois réalisées avec des moyens limités. Vitalité et initiatives A côté de ces sites institutionnels se sont développés de façon relativement anarchique un très grand nombre de sites issus d’initiatives particulières ou associatives. Nombreux sont ici les sites relevant d’une nébuleuse d’amateurs, dont le niveau scientifique est souvent peu élevé et dont la taille n’atteint pas un seuil critique. Dans cette catégorie règnent ce qu’on appelle les " sites persos ", qui monopolisent trop souvent l’attention des annuaires utilisés par la majeure partie des internautes. C’est le cas de Yahoo, qui dresse ainsi un écran de fumée médiocre difficile à surmonter, contribuant à donner une très mauvaise image du web historique français. En poussant la recherche un peu plus loin, on trouve néanmoins de quoi ravir l’historien, avec des sites riches, bien conçus et proposant toutes les garanties scientifiques nécessaires. C’est ainsi que des bases de données performantes sont mises en ligne gratuitement, comme celle du Groupe Hugo de l’Université de Paris VII. Cette base de donnée propose plus de 16.000 fiches correspondant à une chronologie de la vie de Victor Hugo. D’autres exemples existent, comme l’Atlas de l'immigration en France entre les deux guerres publié sur le site de l’Ecole normale supérieure, qui permet de construire dynamiquement des cartes en fonction d’un certain nombre de critères (groupe d’étrangers, variable d’effectifs, variable de rapports, nombre de classes, année du recensement, année de référence). Enfin, le superbe projet ARTFL développé conjointement entre la France et les Etats-Unis propose une base de données extraordinaire concernant l’histoire de la langue française. De très nombreuses initiatives perfomantes couvrent des domaines aussi variés et utiles à la communauté que l’actualité scientifique (citons notamment ArchAGENDA pour l’archéologie, Feuilles d’annonces d’Argentorum pour l’antiquité , Calenda pour l’histoire et les sciences sociales ), la publication massive de sources (Association des bibliophiles universel ), la publication gratuite de livres publiés sur papier (HyperNietzsche et La parole des sans sont des exemples encore trop rares pour ne pas être cités), la publication en ligne de nombreux articles d’une revue sur papier (Cultures & Conflits , Bulletin de l’Institut d’histoire du temps présent ) ou la mise à disposition de catalogues de travaux de littérature grise . Un certain nombre d’initiatives doivent donc être saluées, mais elles ne pèsent pas lourd lorsqu’on les compare aux réalisations de grands acteurs disposant de moyens considérables. Dans ce domaine également, la situation de la France peut être opposée à la situation américaine. Service public a la française contre logique commerciale Alors que la France développe l’édition en ligne de vastes bases de données, les Etats-Unis laissent émerger de puissantes organisations regroupant des milliers de périodiques scientifiques. Il y a bien là deux modèles différents dont il convient de mesurer la portée scientifique et technique. Le règne des machines commerciales américaines La plupart des grandes sociétés américaines qui commercialisent des revues en ligne ont opté pour des voies technologiques inacceptables d’un point de vue scientifique. Dans leur souhait de transformer le visiteur en client, ces entreprises commerciales ont cherché à noyauter et contrôler intégralement leurs sites au point de les couper du reste de la Toile. Cette logique aboutit directement à la négation du principe d’ouverture d’Internet et à son enfermement dans une logique commerciale abolissant l’hypertextualisation du savoir en ligne. Enfermés dans la forteresse qui les protège, des millions d’articles sont complètement déconnectés du maillage du réseau dont on sait pourtant toute la force et l’intérêt intellectuel. Chaque article constitue dès lors un isolat, une transcription mécanique, littérale et aveugle du papier. Bien souvent, d’ailleurs, il s’agit d’une image du document original au format PDF . Dès lors, la matière est inerte, l’objet froid, la pensée désactivée : c’est un cul-de-sac. Si la fin de l’hypertextualisation du savoir est un non-sens absolu, une déroute de la pensée, les arguments qui plaident contre la commercialisation aveugle des revues universitaires sont également d’ordre philosophique. Mon argumentation principale à ce sujet ne porte pas, comme on pourrait s’y attendre, sur le danger d’américanisation des esprits par la langue ou sur la technologie utilisée, mais sur le danger d’inflation qui découle d’un modèle économique spécifique. Le phénomène est déjà très puissant dans le domaine de l’édition sur papier aux Etats-Unis pour les sciences dures et la médecine . Le risque est réel de voir de grandes entreprises de l’édition dominer complètement cette activité et devenir des centres de diffusion incontournables pour assurer l’audience d’une revue. Ces grandes sociétés commercialisent en ligne de nombreux périodiques universitaires, essentiellement via Internet et des CD-ROM. Firstsearch , UMI , Dialog sont parmi les nombreuses sociétés offrant du contenu universitaire sous forme électronique moyennant un abonnement par site (prix en fonction du nombre d’utilisateurs potentiels) ou à la consommation (pay per view). Pour donner la mesure de la puissance de ces sociétés, précisons que la base Proquest propose dix mille cinq cent cinquante deux périodiques en ligne dont huit cent trente trois dédiés aux sciences sociales. La puissance de concentration de ces sociétés illustre la puissance du Web (accéder à tout à tout moment) mais ici, surtout, ce qui le menace : une privatisation généralisée de la production intellectuelle des universitaires et la réalisation de bénéfices . Ces bénéfices proviendront peut-être de la publicité, plus sûrement de tarifs élevés . Dès lors, qui va payer ? Ce qui pourrait théoriquement être une libération risque de devenir un emprisonnement. La sélection par l’argent serait accentuée alors qu’on peut espérer la diminuer grâce à Internet. Les Universités riches pourront s’offrir ce type de service, ce qui n’est pas le cas des autres. On se trouvera rapidement face à un réseau noyauté, parsemé de portes fermées empêchant l’accès au savoir, reconduisant de facto l’inégalité géographique et sociologique actuelle. En France, seront reconduites les profondes inégalités d’accès au savoir qui opposent Paris et le reste du pays, les très grandes et les petites Universités, mais également les grands laboratoires et les chercheurs isolés, alors que la dématérialisation du savoir est en mesure d’atténuer considérablement les contraintes géographiques de distance aux métropoles et de redonner une véritable chance, en France, à la décentralisation des Universités. A l’échelle mondiale, la situation est encore plus critique car les pays pauvres auront de grandes difficultés à payer les abonnements nécessaires, comme ils ont actuellement du mal à payer les abonnements des revues classiques. L’opportunité de changer de modèle d’édition semble pourtant réelle, et elle risque de ne pas se reproduire avant longtemps ; c’est la raison pour laquelle, au risque de choquer, il faut s’interroger sur les fondements économiques de la commercialisation des revues en cherchant une solution qui réalise la synthèse entre l’impératif de viabilité économique et le souci de contourner les menaces de commercialisation spéculative . De gigantesques projets d’Etat En France, la situation est très différente car aucun profit n’est à l’horizon, du moins dans l’immédiat. La publication d’articles en ligne reste encore très rare et marginale, mais des réalisations pharaoniques sont en cours pour des documents sur lesquels ne reposent plus de droits d’auteurs. Il s’agit donc plutôt de sources que de travaux contemporains. C’est ainsi que la Bibliothèque nationale de France (BNF) a initié le projet Gallica . Très connu et fréquenté, ce projet a même été victime de son succès, au point que son accès a parfois été saturé. A l’heure actuelle, c’est Gallica 2000 qui est disponible, avec quinze millions de pages en ligne, concernant des ouvrages antérieurs au XXe siècle. A cette masse énorme de documentation disponible en ligne gratuitement s’ajoutent un nombre impressionnant d’outils destinés à faciliter la recherche bibliographique. La BNF propose en effet un accès à son catalogue (vingt millions de références), tout comme la plupart des grandes bibliothèques du monde. Cette manne d’informations inestimable est complétée par les catalogues de grandes bibliothèques (Bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris , Bibliothèque publique d’information à Paris également , Bibliothèque universitaire de Lyon , etc.) et plus encore par des sites regroupant les catalogues de diverses institutions. L’initiative la plus spectaculaire en ce domaine est le catalogue collectif de France (CCFR) . Le CCFR rassemble en une base de données unique le catalogue des principales bibliothèques municipales françaises, qui contiennent des trésors jusqu’ici difficiles d’accès. Ce service permet aujourd’hui de localiser deux millions de documents souvent rares. Il permettra à terme d’en demander le prêt, la reproduction ou la réservation sur place. Le même type de service est proposé par le SUDOC pour les Bibliothèques universitaires de France, avec en prime un accès aux références et surtout au résumé des milliers de thèses recensées par Thesenet , un autre service inestimable pour le chercheur. Le Ministère de la Culture a quant à lui entrepris d’offrir un accès à de très nombreuses bases de données qui couvrent des champs très variés et mettent en valeur la richesse patrimoniale nationale . Quelques chiffres suffisent à en donner la mesure : deux millions de notices en ligne, illustrées par 300.000 images. Citons parmi ces bases l’exemplaire Joconde , qui recense plus de 100.000 oeuvres conservées dans 70 musées français. Ces oeuvres sont décrites, localisées et parfois reproduites. Ces initiatives n’ont sans doute pas encore touché l’ensemble de leur public potentiel. Malgré le succès de Gallica, trop de sites de ce type restent méconnus. Cela s’explique en partie par la lenteur de la diffusion de la culture électronique dans la société française, mais également par un déficit certain dans la communication au sujet de ces sites, comme si une pudeur exagérée empêchait les initiateurs de ces projets de multiplier les informations sur la naissance et les évolutions de leurs sites. On notera en outre que ces initiatives mettent en valeur le patrimoine mais ne recouvrent jamais la notion d’édition électronique, comme si la politique de l’Etat était centrée sur les objets et l’antique plus que sur la pensée et l’actualité scientifique contemporaine. Comme si notre société se préoccupait plus de valoriser son héritage que son avenir. Il s’agit sans doute du principal défaut de ces politiques louables et très performantes. On ne peut que souhaiter un élargissement de la notion de service public à la publication en ligne de la réflexion de chercheurs dont la plupart sont payés par l’Etat, et avec lesquels une entente collective concernant les droits d’auteurs est non seulement possible (actuellement, la plupart des articles de recherche pure sont publiés sans rétribution pour leurs auteurs) mais souhaitable (la plupart des articles sont inaccessibles au plus grand nombre). Conclusion : service public et Etat central C’est la visibilité de la réflexion universitaire française dans le champ mondial de la pensée qui est en jeu. Quoi qu’on en pense, il ne suffit pas de publier pour exister. Encore faudrait-il être lu. C’est ce qu’ont compris des institutions américaines qui font connaître et rentabilisent une production nationale massive. L’édition française existe, mais elle reste confinée dans les rayonnages et dans le papier, semblant pêcher par excès de modestie, de retenue ou de patience. Pourtant, les insuffisances du web historique français ne sont pas seulement le fait de l’immaturité actuelle des technologies. Elles sont aussi le produit d’une communauté qui se repose sur l’Etat central et prend peu d’initiatives, préférant surtout maintenir ses positions dans la galaxie Gutemberg. La situation française présente pourtant bien des avantages, au premier rang desquels on compte la faiblesse des enjeux financiers ainsi que le souci de service public. La puissance étatique française, qui a parfaitement fonctionné pour des projets de nature centralisée, pourra-t-elle se mettre rapidement et avec souplesse au service d’une véritable publication électronique scientifique, réactive, gratuite, facile d’accès et techniquement irréprochable ? La constellation des revues françaises d’histoire ne correspond ni à un schéma statique, ni à un organigramme clairement structuré. Malgré l’institutionnalisation de la recherche, la prolifération des titres –qu’on la célèbre ou qu’on la regrette– fait partie intégrante du processus de recherche historique contemporain. Soutenir la publication électronique ne peut donc être possible sans une aide permettant aux initiatives de chacune des spécialités historiques de conserver sa liberté d’action et d’organisation, mais aussi et surtout sa liberté de chercher, avec tout ce que cela comporte d’errances, de défrichements et de risques intellectuels. L’aide financière, technique et administrative nécessaire n’aura par conséquent de sens que si elle revêt une souplesse qui soit à la hauteur de la vitalité de la recherche. Un historien au pays du Minitel Le web et l’histoire en France à la fin de l’année 2000 Silences et reticences Nostalgies de papier Comparaisons malvenues avec le Minitel Une image négative : anarchie et désordre Les "trous noirs" de l'Internet français Une faiblesse numérique Analyses et mises en oeuvre Vitalité et initiatives Service public a la française contre logique commerciale Le règne des machines commerciales américaines De gigantesques projets d’Etat Conclusion : service public et Etat central