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Memoria e Ricerca

I blog e la scrittura della storia

di Paul Bertrand
in Memoria e Ricerca n.s. 27 (2008), p. 187


 

Les blogs et l'écriture de l'histoire

 

 

Introduction

 

Depuis 2003-2004, le blog triomphe, occupe le haut de l’affiche, s’invite à chaque grande élection. Cet instrument de communication, il était bien normal que des scientifiques, des historiens même, s’en emparent, fût-ce pour voir ce que l’on peut en tirer pour nos disciplines. Étant du nombre des pionniers, j’étais torturé depuis longtemps par l’envie de faire le point sur ce genre particulier qu'est le Weblog et sur la façon dont les historiens l'appréhendent ou, plus ambieusement, comment ils devraient l'appréhender selon moi. C'est un sujet difficile. Il s'agit de parler du métier d'historien et de ses liens avec une «relative» nouveauté technologique: pas de réelle théorisation de l'histoire, pas de nouvelle approche des sources ici, mais un nouvel instrument de publication dont l'impact dans le monde de l'écrit reste euphorique et impressionnant. En somme, je tente ici quelques réflexions d'historiographie immédiate et d'historiographie prospective. Mieux, il s'agit de penser cet instrument en considérant  ses incidences sur les méthodes de la critique historique [1].

 

1. Définitions

 

Avant toute chose, qu'est-ce qu'un blog? Il faut aborder l'objet de manière large. Revenons au décollage du web dans les années '90. Le réseau, rappelons-le, est au départ une création militaire destinée à l'échange d'informations. Il s'ouvre au monde avec le protocole du web, initié et lancé par Tim Berners-Lee [2], à partir de 1989-1990. Dans un premier temps, le réseau  est l'affaire des spécialistes, des informaticiens ou des bricoleurs; eux ne se privent pas pour créer des pages html, en statique, mais qu'ils mettent à jour de temps à autre. Les historiens ne s'y intéressent encore guère, mis à part les quelques audacieux du Médiéviste et l'Ordinateur [3] qui lancent Menestrel [4] dans la foulée...On pourrait écrire des pages sur le dédain de bien des historiens, même encore maintenant, par rapport au web, considéré comme un gadget, une simple « vitrine », un piège à gogos, un repaire de pornographes, un nid à virus... L'irruption d'internet dans les moyens de communication bouleverse les habitudes: ce devient le premier lieu de quête d'information brute. De plus en plus, depuis le début des années 2000, c'est une évidence: l'Internet a remplacé les «galeries Lafayettes», on y trouve de tout. Et c'est encore décuplé par les progrès en matière de transmission des données: l'ADSL, le très haut débit remplacent les vieux modem 58K. Moyen de recherche, le web apparaît à beaucoup dans le même temps comme un moyen de publier, de faire savoir, quel que soit ce que l'on veut faire savoir. Jusque ça, la complexité technique empêchait que tout un chacun publie comme il voulait: il fallait mettre les mains dans le cambouis, jouer avec du code html, se trouver une place sur un serveur, etc, etc, et cela décourageait plus d'un. 

En parallèle à cette demande forte de publication, apparaît l'intérêt pour le logiciel libre et la liberté des échanges, qui fait couler tant d'encre depuis des années! Les enjeux économiques et idéologiques sont énormes: la rupture du barrage des grands monopoles est l'objectif, la libération de la culture via l'internet apparaissent comme essentiels. Car, au-delà de la traditionnelle opposition à Microsoft, on veut aussi concurrencer les grands opérateurs de communication en les «grillant» (et c'est Skype), «doubler» les commerces de tout type (ce sont les petites start ups commerciales qui marchent ou crèvent, telle la «bulle internet»)... ou encore faire jeu égal (voire mieux) avec les grands instruments de connaissance -et là c'est Wikipedia, si controversé et pourtant maintenant incontournable: l'ignorer ou proner la défiance c'est commettre la plus grande des erreurs... C'est le développement d'outils collaboratifs simples, comme les logiciels « wiki », développés par des partisans acharnés du libre, qui permet la création de tels instruments de création de connaissance, encore peu utilisés chez les historiens, à tort à mon avis [5].  Et en même temps que les wikis, voilà que naissent des systèmes de publication « clé en main », nés sous la même pression et avec les mêmes objectifs, destinés à des utilisateurs lambda, afin qu'ils puissent enfin se passer du code et publier rapidement, librement: les weblogs. Web logs pour journaux sur le web, contracté en blog et connu sous ce nom.  Grâce à ces logiciels-systèmes de publication, les CMS, Content Management System ou systèmes de gestion de contenus, n'importe quel individu capable de surfer sur le web peut tenir un blog. Je reprendrai ici la définition de Wikipedia [6], qui me semble cohérente: «Un blog ou blogue [...] est un site Web [7] constitué par la réunion d'un ensemble de billets triés par ordre chronologique. Chaque billet (appelé aussi note ou article) est, à l'image d'un journal de bord ou d'un journal intime, un ajout au blog; le blogueur (tenant du blog) y porte un texte, souvent enrichi d'hyperliens [8]et d'éléments multimédias et sur lequel chaque lecteur peut généralement apporter des commentaires».

L'histoire des blogs est récentissime: les premiers blogs américains, très sommaires, naissent au début des années '90, mais on voit apparaître les premiers blogs francophones vers 1995: ils sont canadiens. Cependant, il faut attendre la fin 1999 pour que le réel engouement commence, avec la naissance de la plateforme Blogger [9] par exemple: il ne s'agit plus seulement d'un simple logiciel de CMS, Blogger propose aussi une solution d'hébergement, et le tout gratuitement. En d'autres termes, l'internaute allait alors sur le site de Blogger, créait son blog en moins d'une demie-heure et pouvait commencer à publier. Bien des plateformes gratuites similaires suivirent, et la moindre n'est pas la plateforme de la chaîne de radio Skyrock, qui lança la fameuse mode des skyblogs [10], si prisés par les adolescents voici deux ou trois ans: nous sommes évidemment très loin, avec ce genre de blog d'adolescent, de la création d'un contenu qui puisse se définir autrement que dans une perspective de cohésion sociologique: dans un skyblog, vous trouverez des photos et de commentaires brefs, ou encore de textes convenus et répétés ou de journaux d'expériences adolescentes. Le but avoué est, pour ces jeunes auteurs, de renforcer une communauté. Le genre du skyblog est très particulier, il trouve d'ailleurs une continuation dans la plateforme qui est en passe de le supplanter, MySpace [11]. En France, les autres plateformes de blog sont montées en puissance puis se sont succédées: 20six [12], Joueb, [13], puis U-blog [14] ont disparu, remplacées par Over-blog [15], Viabloga [16] ou encore par les plateformes de blogs proposées par les grands journaux comme Le Monde [17]! En Italie, on compte aussi de grandes plateformes qui vont et viennent, comme Splinder [18]...

La facilité de créer son espace de publication, de le fonder avec une totale simplicité, a ouvert des perspectives insoupçonnées pour bon nombre d'écrivants. Il se trouve que le blog n'a pas encore acquis toutes ses lettres de noblesse. Pour beaucoup d'utilisateurs extérieurs, surtout pour les générations ancrées dans l'écrit de papier, ou encore pour les personnes qui s'opposent aux idéologies du «libre échange» de l'information -et elles sont nombreuses-, le blog n'est souvent que bavardage. Nombre d'utilisateurs confondent le modèle technologique «blog» et ses potentialités avec certaines utilisations dérivées les plus mises en valeur par le grand public, que ce soit le journal intime à la façon de l'adolescent, du jeune cadre ou du trentenaire déluré, que ce soit le lieu d'expression de réflexions politiques, économiques ou religieuses de l'un ou autre internaute prosélyte, que ce soit le lieu de révolte d'une personne ou d'un groupe [19].

 

2. Le blog et l'historien: la situation

 

C'est ainsi que le monde des historiens a découvert le blog, en même temps d'ailleurs que le wiki. Du wiki, je ne parlerai pas parce que hélas, il n'y a guère à en dire: les expériences de wiki par les historiens ne me sont guère connues, probablement les compte-t-on sur les doigts d'une main pour la France.

Du blog et des historiens: il y a là matière à discussion.

Car si le genre n'a pas pris, pour l'instant, en France, avouons-le, par contre, dans les pays anglos-saxons, il est très présent. Au congrès des médiévistes de Kalamazoo [20], cette année 2007, une session est consacrée aux blogs de médiévistes, organisée par deux blogueuses médiévistes.

Les quelques listes de blogs d'historiens qui existent nous donnent un bon aperçu de leur complexité.

Je mentionnerai une liste [21] peu complète sous forme de wiki, sur le blog-wiki «academicblogs» [22], elle est surtout anglosaxonne. Cette liste est une héritière d'une liste emblématique de blogs scientifiques [23], déjà ancienne et close, celle du blog «Crooked timber», célèbre dans les milieux autorisés. Une liste plus ancienne [24] est tenue par une des organisatrices de la session «blogs» de Kalamazoo, elle a le grand mérite de sérier les blogs et de les identifier par leur contenu et leur fréquence de mise à jour -car une des caractéristiques des «bons» blogs, des blogs réactifs, est leur réactivité et leur côté «vivant». La liste la plus importante [25] est dressée par les organisateurs du blog History News Network. A l'analyse rapide de toutes ces listes anglo-saxonnes, américaines même, il appert que la place des historiens blogueurs européens est réduite à la portion congrue. La catégorisation est somme toute assez sommaire: entre les blogs qui parlent d'histoire de l'art (une quinzaine), les «Historians who write about Many Things» (environ cinquante-cinq), les blogs qui parlent de vie universitaire (trente-cinq environ), ceux qui font du commentaire de l'actualité à la lumière de leurs compétences d'historien (une bonne trentaine), ceux qui parlent philosophie, spiritualité et théologie (sont-ils bien des historiens, tous? Pas sur...ils sont plus d'une trentaine)... on compte aussi une trentaine d'historiens touchant aux «digital humanities», une dizaine de blogs consacrés à des expériences d'enseignant, une cinquantaine de blogs dédiés à l'histoire et l'archéologie de l'antiquité, une quarantaine pour la «pre-modern history» (moyen âge et époque moderne), plus de dix blogs de contemporanéistes auxquels il faut ajouter évidemment une quarantaine de blogs d'histoire américaine. Toujours parmi les blogs anglosaxons: plus de quarante blogs écrits en anglais ou américain, souvent par des anglais ou américains et touchant un point de la planète, de l'Iran à la Russie en passant par le Canada, la Chine ou l'Allemagne... Un ensemble bien particulier de blogs tourne autour de « wars and warriors », plus de quarante blogs aussi! Et, tout à la fin de la liste, juste avant les divers inclassables ou inclassés (une quarantaine quand même, tous anglosaxons aussi), que trouve-t-on ? Quarante blogs sous l'étiquette «Primarily Non-English Language», dont l'essentiel sont en espagnol ou portugais: bon nombre de blogs sud-américains, quelques-uns de la péninsule ibérique. On compte onze blogs tenus à jour et en français, dont une moitié au moins n'est pas le fait de professionnels.

Que déduire de cette sèche présentation ? Que les blogs d'historiens sont principalement anglosaxons, que leur organisation est anglosaxonne. A l'analyse, il semble qu'un nombre important (mais difficile à quantifier) provient de non-professionnels de la discipline.

Leur contenu peut être très variable: pour certains, ce sont des notes personnelles, mi-biographiques, parlant parfois d'histoire: nous restons dans le genre du journal, du diary: expériences de vie universitaire, d'enseignement, réflexions politiques... C'est le cas dans le monde anglo-saxon où la pudeur l'a cédé devant le désir d'écrire et de communiquer, de constituer une communauté de lecteurs/intervenants/commentateurs [26]. D'autres blogs présentent des points d'histoire plus complets, souvent en rapport avec l'actualité: il ne faut pas s'attendre à des articles scientifiques dûment calibrés, mais plutôt à des notes de lecture ou à des réflexions critiques, comme sur le blog de la revue l'Histoire [27]. Ce sont là de réels carnets de chercheurs. Parmi eux, certains blogs, très ciblés, se concentrent sur des domaines pointus, comme le blog Pecia [28] dédié au manuscrit: là aussi, pas d'article scientifique de fond, mais de l'information brute et/ou de la réflexion. Enfin il importe de citer les blogs communautaires ou collectifs, destinés à assurer la cohérence scientifique et la diffusion de l'information de la communauté, destinés à faire circuler l'information en interne mais aussi en externe de cette communauté, afin de la consolider voire de l'agrandir. C'est le cas pour certains blogs de laboratoires ou d'équipes de recherche, comme le blog du Collectif de recherche international et de débat sur la guerre 14-18 [29]. Ou encore le Laboratoire d'histoire visuelle contemporaine de l'École des Hautes-Études en Sciences Sociales qui, sous la plume principale d'André Gunthert, publie les Actualités de la recherche en histoire visuelle [30]. Le blog de Menestrel [31] pourrait jouer ce rôle pour la communauté des médiévistes francophones, mais à l'heure actuelle, il faut reconnaître qu'il se cantonne dans un rôle de veille, ce qui n'est déjà pas si mal! Dans le monde anglosaxon, les historiens se retrouvent autour de History News Network, HNN.us, monté par la George Mason University.

Dans tous ces sites, on va bien plus loin que dans le modèle soulevé par les détracteurs du blog, celui du simple «journal intime»: c'est un outil de communication et de publication complet. Ainsi, HNN.us, qui est à la fois un blog et un portail-blog: il héberge une volée de blogs, dont le blog collectif Cliopatria [32], très consulté ; il propose des pages où de jeunes historiens se présentent [33], il propose des enregistrements vidéos ou audios en podcast [34] (pour dire les choses simplement, téléchargeables) avec des interviews d'historien...

Un des atouts et une des caractéristiques les plus décriées du blog est sa capacité à fonder une communauté. Deux blogueurs historiens américain et espagnol ont montré, par une petite enquête sur un ensemble de blogs historiens américains-espagnols, à quoi peut ressembler ces communautés, en demandant aux différents blogueurs interviewés quels autres blogs ils consultaient le plus souvent et pourquoi. La représentation de la toile que tissent ces blogs parle d'elle-même [35]: certains blogs, comme Cliopatria, tissent un réseau serré autour d'eux, permettant à tous de rester en contact direct ou indirect. La communauté se tisse visiblement sur chaque blog par le biais d'une «blogroll» ou liste de blogs mis en «liens», «favoris», proposés à la consultation par le blogueur visité. Cette communauté-là est la communauté désirée par le blogueur, ce sont les blogs qu'il reconnaît et qu'il valide par leur insertion dans sa blogroll -cela ne veut pas dire que les auteurs de blogs mis en liens font partie de la communauté réelle du blogueur: c'est une communauté rêvée. La communauté réelle apparaît davantage par le biais des commentaires aux différents articulets. En effet, un autre atout du blog est de permettre l'insertion de commentaires par le lecteur de l'articuler -se constitue ainsi une communauté de commentateurs, qui s'identifient ou non, sont connus ou non, tiennent un blog ou non. C'est une communauté très mouvante et somme toute assez virtuelle. Elle peut cependant donner lieu à la constitution de liens scientifiques plus forts: le commentaire de certains chercheurs peut induire des contacts plus approfondis, par le biais du courrier électronique, voire des collaborations scientifiques: par deux fois, la tenue du blog Médiévizmes [36] m'a permis de nouer des contacts puis d'entreprendre de fructueuses  recherches communes avec des scientifiques commentateurs que je ne connaissais pas jusque là.

La communauté peut être encouragée par d'autres moyens, comme le «blog carnival» qui est très répandu dans le milieu des blogs américains, notamment historiens [37]. Un blog basique tenu par quelques historiens organise, une fois par mois ou davantage, la présentation d'un blog par son auteur, qui en profite pour mettre l'accent sur des domaines de prédilection ou ses thèmes favoris, en illustrant son propos par la présentation d'autres blogs ou notes de blogs apparentés.

Au-delà de la communauté rêvée ou de la communauté induite par les commentateurs, quel est l'impact du blog? Il peut être réel et d'importance. A titre d'exemple, au cours du mois de mars 2007, Medievizmes a reçu des visites, citées en «vrac», émanant des serveurs des universités de Nantes, Lyon 1 et 2, Rennes 1, Leipzig, Paris 5 et 8, et Jussieu, Toronto, Fribourg, Genève, Harvard, Montpellier, Grenoble, Orléans, Bordeaux, Caen, Avignon, le Havre, Pau, Franche-Comté, Angers, Hambourg, Saint-Etienne, Sherbrooke, des visites de collègues du CNRS, de l'École Normale Supérieure, de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, du ministère de l'éducation nationale, des académiques belges, japonais... deux connections de chez Microsoft. Et je ne compte pas les visites de professionnels ou d'amateurs d'histoire arrivant là par leurs connections privées. Les chiffres importent peu, ils varient beaucoup selon les blogs, la régularité de publication et la qualité de leurs notes, leur potentielle attractivité aussi. Il faut reconnaître que la tentation peut être grande de chercher l'audience, le «hit» comme disent les «geeks», de voir monter ses statistiques de consultation, ce qui entretient le complexe de Narcisse de bon nombre de blogueurs: toute note qui touche de près une actualité brûlante peut ainsi attirer beaucoup de lecteurs, grâce à Google et au bouche-à-oreille des blogs. C'est un travers dans lequel tombent aisément (volontairement?) certains blogueurs renommés, notamment dans le domaine politique. On retrouve rarement des blogs d'historiens dans ce genre de quête de renommée.

Le problème essentiel, pour tout chercheur, est de ne pas s'enfermer dans une communauté mais au contraire, de rester ouvert et à l'écoute des autres communautés émergentes ou déjà bien implantées. Il n'y a pas «une» blogosphère mais plusieurs, toutes en intercommunication. Le plus important pour un scientifique est de ne pas tomber dans un autisme de communauté: le travail de veille, d'écoute, de recherche d'information en dehors des cadres habituels est vital. Comment donc rendre cette veille effective? Aucun chercheur qui se respecte n'a le temps d'aller parcourir tous les jours cent ou deux cents blogs intéressants, constituant plusieurs communautés. Les technologies de syndication de contenu permettent fort heureusement de remédier à ce souci. Chaque site équipé de ce système de fil de syndication peut envoyer automatiquement, au moment de la publication, tout nouvel article publié sous un format de fichier XML à un autre site qui a noué le fil avec le premier. Ce dernier site récupère le fichier qui contient le nouvel article et l'affiche directement. En d'autres termes, vous qui avez accès au dernier site, vous pouvez lire l'article sans avoir besoin d'aller consulter le premier. Il suffit alors que ce dernier site par lequel vous délocalisez l'information d'un  blog récupère dans le même temps tous les nouveaux articles d'autres sites/blogs auxquels vous aurez décidé de vous «abonner» (gratuitement!) par l'intermédiaire de ces fils de syndication, dits aussi communément fils RSS. Ce genre d'agrégateur, comme bloglines, permet à tout un chacun de constituer son propre lieu de veille, qui rassemble les informations de tous les blogs qui vous intéressent [38]. Le logiciel de navigation web Firefox permet ce genre de chose également, tout comme le logiciel de courriel Thunderbird...

Ce système permet donc de rassembler des informations très largement, voire de les publier directement: un blog peut donc être en partie automatisé et permettre la communication de «nouvelles», «annonces de colloque», «annonces de conférences», «annonces de publications»...rassemblées par ailleurs. Ainsi le site web de l'IRHT [39] annonce-t-il des colloques qui sont récupérés [40] par le biais des fils RSS du site de calenda.org [41], le calendrier des sciences humaines et sociales [42].

 

3. Les blogs et l'historien: un avenir ?

 

Si on s'en tient à l'expérience actuelle en matière de blogs tenus par des scientifiques en Europe, et en particulier aux blogs scientifiques français, le tableau n'est pas brillant. Cela fait déjà plus d'un an que l'on nous parle de démarrage lent [43]. Mais dans les listes de blogs scientifiques, on ne voit guère d'historiens... [44] Pourtant le paysage des blogs français en sciences humaines n'est pas si désolé: de plus en plus de jeunes sociologues ou anthropologues ouvrent leur blog: aussi bien des chercheurs CNRS que des enseignants chercheurs. Pour l'instant, le monde historien n'a guère démarré: on compte quelques initiatives venant d'historiens enseignants [45], de quelques chercheurs avec des objectifs spécialisés [46] ou plus généralistes [47], plus quelques initiatives collectives déjà citées [48].

Comment expliquer ce manque d'intérêt? Une série de raisons apparaissent clairement si on lit entre les lignes d'un intéressant petit essai que vient de publier Joseph Morsel avec la collaboration de Christine Ducourtieux: L'histoire du Moyen Âge est un sport de combat... [49]. On y voit que le blog fait peur: il semble être une tour d'ivoire où le chercheur-blogueur se fait reclus, s'y haussant le col au sein d'une petite cour d'affidés où l'on parle un langage hermétique aux extérieurs, où l'on privilégie le bavardage de cour en le faisant passer pour du discours scientifique. Voilà le problème. Et ce n'est pas faux: le blog dans l'absolu peut n'être que cela, un simple journal intime ou journal «entre amis»: on n'y cherche rien ou peu de scientifique évidemment.

Mais aucun des blogs d'historiens francophones et peu de blogs anglo-saxons sont à considérer comme tel. Dans aucun des cas l'historien n'y parle de lui démesurément, chaque articulet publié touche souvent de près, parfois d'un peu plus loin, à des objets et des objectifs historiens [50]. Seulement, noyés dans la masse des blogs, les blogs d'historien pâtissent de l'image du blog comme «journal intime» et sont considérés comme du bavardage narcissique. L'écriture elle-même fait peur: plus dégagée, moins académique, elle fait fi des convenances et des conventions. Le ton peut être léger, trop léger ; le propos est bien différent de celui que l'on trouve dans les articles scientifiques traditionnels ; tout au plus peut-on le comparer au propos des chroniques dans les revues scientifiques. Le côté fragmentaire -volontairement fragmenté, «éparpillé» à cause de la publication par ordre antéchronologique des articulets- inquiète aussi: le lecteur ne retrouve pas ses structures traditionnelles face à un discours structuré et clair, même si les articles peuvent être reclassés selon des entrées d'index que l'auteur lui-même a proposés.

Ne pas avoir peur des blogs:voilà l'essentiel. Il faut tenter de comprendre. Comprendre d'abord qu'il s'agit là d'un instrument de publication inégalé, simple et rapide, permettant à la fois une excellente communication au sein d'une communauté scientifique, qu'elle soit limitée ou élargie, comprendre aussi et surtout qu'il s'agit là d'un moyen de diffuser, faire connaître le discours historien, au plus large.

Car un historien retranché dans sa tour d'ivoire ne discutera pas avec des amateurs qui essaient de faire de la reconstitution historique à leur façon ; un historien retranché dans sa tour d'ivoire ne pourra comprendre le mouvement des généalogistes sans lesquels l'accès aux archives serait rendu encore plus difficile qu'il n'est aux chercheurs ; un historien retranché dans sa tour d'ivoire laissera l'Etat ou les grands pontes répondre aux négationnistes qui attaquent au quotidien ; un historien ne peut être retranché dans sa tour d'ivoire. C'est son devoir de chercheur au service d'un certain humanisme démocratique. Et le blog nous permet de communiquer comme jamais. Cela donne une cacophonie avec des non spécialistes, l'intrusion de gens qui ne sont pas les bienvenus, des «amateurs» pas du sérail ? Parfois, souvent même. Mais les premières Annales [51], Marc Bloch et Lucien Fevre les ont voulues expressément comme telles, pour désenclaver l'histoire. Il n'y a qu'à lire la correspondance de Bloch et de Febvre pour les voir appelant à la plume un banquier, ou un juriste, ou un sociologue, ou un économiste, chacun avec sa contribution, chacun apportant son levier pour faire sauter les verrous.

Certes, les notules de blog n'ont pas la patine des articles acceptés par les comités scientifiques des grandes revues, mais nul n'a jamais dit qu'il fallait les comparer: ces notes, ce sont des raccourcis, des traits d'esprit, des esquisses de réflexion, des raccords audacieux, des hypothèses plus ou moins fondées mais toujours avancées. Il s'agit de pouvoir réagir aux urgences, agir comme un outil de publication alternatif, comme le souligne fort justement André Gunthert [52]. Alternatif: l'écriture de l'histoire évolue elle aussi, le weblog propose un nouveau modèle de publication, une nouvelle façon de lancer des idées, nouer des liens entre les professionnels et le public «amateur» ou simplement «curieux».

Quant à la validation, ce n'est pas le nom de l'auteur qui la donne [53]; ce n'est pas un comité de lecture a priori, c'est une validation a posteriori: encensé ou démoli par les commentaires, un blog est jugé avec une très grande sévérité, aussi drastiquement que par un comité de lecture scientifique. Au fond, on en revient aux principes premiers de la critique historique, qui s'appliquent au document après sa publication.

Ces notes de blog, c'est de l'audace, cette audace qui fait avancer la recherche en donnant des idées aux autres. C'est donc, aussi, du don pur et dur, à l'instar du temps ou des idées qu'ont donnés Bloch et Febvre à la tête des Annales quand nos arrières grands-parents les toisaient, méprisants.

Il n'y a d'autre façon de faire de l'histoire qu'avec audace et générosité.

 _________

   

[1] On trouve quelques publications déjà, sur le blog et l'historien. Voir notamment http://www.mmsh.univ-aix.fr/telemme/textes/publi/Telemme_Infos/Telemme_36.pdf  ou http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/action/open_file.php?url=http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/13/72/27/PDF/bbf-2006-03-0029-005.pdf&;docid=137227.  Cet article a connu un pre-print sur le blog Medievizmes : http://www.medievizmes.net/document385.php. Voir aussi l’article « Réinventer l’historien et l’ordinateur », sur le même blog : http://www.medievizmes.net/document395.php.

[2] Voir la notice sur Tim Berners-Lee, dans Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Tim_Berners-Lee/

[3] http://lemo.irht.cnrs.fr/

[4] http://www.ext.upmc.fr/urfist/mediev.htm

[5] Je mentionnerai ici simplement l'utilisation par la section de diplomatique de l'IRHT d'un wiki en interne, qui a permis la rédaction commune d'un très complet guide du collaborateur et de l'utilisateur de la base cartulaire.

[6] http://fr.wikipedia.org/wiki/Blog

[7] http://fr.wikipedia.org/wiki/Site_Web

[8] http://fr.wikipedia.org/wiki/Hyperlien

[9] https://www2.blogger.com/start?hl=fr

[10] http://www.skyblog.com/

[11] http://www.myspace.com/

[12] http://www.20six.fr/

[13] http://joueb.com/

[14] http://www.u-blog.net/

[15] http://www.over-blog.net/

[16] http://viabloga.com/

[17] http://www.lemonde.fr/

[18] http://www.splinder.com/

[19] Ainsi le groupe « Sauvons la Recherche » tient un site qui participe du blog : http://recherche-en-danger.apinc.org/

[2] http://www.wmich.edu/medieval/congress/

[21] http://www.academicblogs.net/wiki/index.php/History

[22] http://www.academicblogs.net/wiki/index.php/Main_Page%20

[23] http://crookedtimber.org/academic-blogs/

[24] http://fishpond.owlfish.com/medievallogs.html

[25] http://hnn.us/blogs/entries/9665.html

[26] Un exemple : http://www.cheekyprof.com/ .

[27] http://histoire.typepad.fr/le_blog_de_lhistoire/

[28] http://blog.pecia.fr/

[29] http://www.crid1418.org/index.html

[30] http://www.arhv.lhivic.org/

[31] http://menestrel.viabloga.com/

[32] http://hnn.us/blogs/2.html

[33] http://hnn.us/roundup/49.html

[34] http://hnn.us/podcasts/50.html

[35] Voir http://tapera.info/fotos/blogs1.jpg

[36] http://www.medievizmes.net/

[37] Des blogs de « carnival »:  http://historycarnival.org/ ou http://carnivalesque.blogsome.com/ ; des blogs choisis récemment pour ce carnival, comme ce blog danois parlant d' « early modern history » : http://www.henrikkarll.dk/recent-finds/carnivalesque-xx  ou plus récemment, cet autre blog sur l'iconoclasme : http://www.iconoclasm.dk/?p=200 ,  On notera l'existence d'un « agrégateur » de « blogs carnival », qui rassemble donc la veille sur ces différents « carnavals » : http://historycarnival.blogspot.com/

[38] Voir par exemple le « bloglines » personnel de Got, auquel il donne la publicité d'accès : http://www.bloglines.com/public/Got

[39] http://www.irht.cnrs.fr/recherche/programme_rcf.htm

[40] http://www.irht.cnrs.fr/actualites/colloques.asp

[41] http://calenda.revues.org/

[42] Pour plus de détails sur les fils RSS, voir l'excellente introduction de Got dans cet article du BBF : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/index.php?halsid=441adba51418b9b016d32d3f301f92af&;view_this_doc=sic_00137227&version=1 . Les quelques lignes précédentes sur la syndication lui doivent beaucoup.

[43] On verra plusieurs articles publiés au début 2006 et annonçant de grandes espérances : http://phnk.com/blog/blogosphere/blogs-et-universite/ ;; http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2006/01/to_blog_or_not_.html ; http://lafeuille.blogspot.com/2006/01/formations-ldition-lectronique.html ; http://lafeuille.blogspot.com/2006/01/blogs-et-nonciation-scientifique.html.

[44] Voir cette liste: http://academicblogs.org/wiki/index.php/Academic_blogs_in_French. On notera le poids des chercheurs et enseignants-chercheurs de l'EHESS.

[45] Le blog suisse de Lyonel Kaufmann : http://lyonelkaufmann.ch/histoire/ ; Le jardin des retours : http://lewebpedagogique.com/histoire ; le thiboniste: http://lethiboniste.blogspot.com/ ; clioweb : http://clioweb.canalblog.com/

[46] Hagio-historiographie médiévale : http://andreyvesbourges.blogspot.com/  ; Pecia : http://blog.pecia.fr/ ; chroniques archéologiques grecques : http://www.hellarch.fr/;  par certains côtés les pages-blog de Cl. Lemercier : http://lemercier.ouvaton.org/index.php

[47] Clio-blogueuse : http://monclioblog.blogspot.com/  ; Medievizmes : http://www.medievizmes.net/

[48] Menestrel : http://menestrel.viabloga.com/ ; Le blog de l'Histoire : http://histoire.typepad.fr/le_blog_de_lhistoire/ ; Actualités de la recherche en histoire visuelle : http://www.arhv.lhivic.org/index.php/  ; CRID 14-18 : http://www.crid1418.org/index.html ...

[49] L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat... Réflexions sur les finalités de l'Histoire du Moyen Âge destinées à une société dans laquelle même les étudiants d'Histoire s'interrogent, dans http://menestrel.viabloga.com/news/l-histoire-du-moyen-age-est-un-sport-de-combat, p. 70 s.

[50] La tentation subjective de l'historien est totalement assumée dans les notes de blog: probablement n'a-t-elle jamais été autant assumée depuis les débuts du métier.

[51] http://www.editions.ehess.fr/revues/annales-histoire-sciences-sociales/

[52] AHRV, premier bilan : http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2006/05/23/180-arhv-premier-bilan.

[53] Qu'importe si je me nomme Pierre Laloi ou Ernest Lavisse :  http://www.inrp.fr/emma/web/vueNot.php?index=28052